Jean-Marie Chevalier, professeur à l’Université Paris-Dauphine nous parle géopolitique de l’énergie

par | Mar 30, 2020 | Interviews

Jean-Marie Chevalier

 

Jean-Marie Chevalier est professeur à l’Université Paris-Dauphine où il dirige le Centre de géopolitique de l’énergie et des matières premières (CGEMP). Il est aussi directeur au Cambridge Energy Research Associates (CERA, bureau de Paris). Il a publié de nombreux ouvrages et articles sur l’énergie.

 

Dans un mix européen, quelle est selon vous la place des ENR d’ici 2050 ? Et quelle est la place du nucléaire d’ici 2050 ?

Il y a une loi énergétique qui vient d’être promulguée. Pour les énergies renouvelables, il y a à la fois de bonnes nouvelles et de moins bonnes nouvelles, dans la mesure où cela ne va pas assez vite pour atteindre les objectifs des renouvelables dans la production d’électricité d’ici 2030 ou 2050. Notamment, dans le cas français, ce qui est en retard à mon avis c’est l’éolien offshore. (voir notre article sur le développement de l’éolien offshore en France)

Cette technologie a été développée dans la plupart des pays européens qui disposent de gisements possibles, en Allemagne notamment avec un câble sous-marin électrique qui va en Norvège. La Norvège dépend à 90% de l’hydraulique, mais quand le vent souffle en Allemagne, c’est plus intéressant pour eux d’importer de l’électricité éolienne allemande plutôt que de faire tourner les barrages. Ils gardent des réserves pour les vendre éventuellement plus cher aux Allemands éventuellement quand ils auront besoin. Ce sont donc des phénomènes d’échanges qui sont en train de se développer. Dans le cas français, premièrement, les objectifs des énergies renouvelables sont très importants, deuxièmement, nous sommes en retard sur l’éolien offshore. Sur le solaire, il n’y a pas grand-chose à dire et sur le nucléaire EDF a annoncé la fermeture de centrales à des dates précises.

Ma position par rapport au nucléaire est très claire, c’est-à-dire, tant qu’une centrale nucléaire fonctionne en respectant les règles de sûreté nucléaire, il faut la laisser tourner. C’est seulement à partir du moment, où elle ne répond plus à ces critères de sécurité qu’on peut envisager de la fermer. Pour moi, le nucléaire installé est un atout, même si nous n’aurions pas dû en installer autant, ces 58 centrales sont maintenant là, il faut donc essayer de les garder le plus longtemps possible tant qu’elles obéissent aux critères de sécurité. C’est extrêmement difficile pour moi de vous dire qu’elle sera la place du nucléaire d’ici 2050, car c’est un problème de logique économique et de bon sens de la maintenance de nos 58 réacteurs.

éolien offshore

« La France est en retard sur l’éolien offshore » – Photo by Nicholas Doherty on Unsplash

Pour rester dans cette question, nous aimerions avoir votre opinion à l’échelle européenne, on nous parle beaucoup du débat des renouvelables contre le nucléaire en France, mais à l’échelle européenne, on imagine difficilement un mix essentiellement renouvelable ou un mix essentiellement nucléaire.

La France est un pays très nucléarisé mais il y a d’autres pays qui sont en faveur du nucléaire comme la République Tchèque, la Slovaquie ou éventuellement la Hongrie. Et puis on a des pays qui refusent systématiquement le nucléaire comme l’Autriche, les Pays-Bas ou l’Allemagne. On dit que le système allemand et français sont complètement opposés, car nous avons du nucléaire et ils ont du charbon et que leur sortie du charbon va prendre longtemps. La comparaison qui me paraît la plus importante se base sur la question des systèmes et de leur efficacité énergétique. Là-dessus, les Allemands vont plus vite que nous pour améliorer l’intelligence des systèmes électriques en place.

Dans une perspective de transition énergétique, la première des priorités serait les économies d’énergie. Je remplacerai le mot d’économie d’énergie par le mot « intelligence énergétique » c’est-à-dire contrôler et gérer d’une façon plus précise les échanges, les flux d’électricités, leur emplacement des sources alternatives, etc. C’est un peu ce que fait RTE à l’heure actuelle avec leur préoccupation très récente sur les problèmes de stockage. Le stockage permet d’économiser des lignes à haute tension qui sont de plus en plus difficiles à construire.

Alors maintenant, il y a un autre argument contre le nucléaire. À l’heure actuelle, depuis Fukushima, les pays qui ont du nucléaire découvrent que le nucléaire implique des coûts futurs qui sont extrêmement élevés et difficiles à assumer. Je parle du démantèlement des centrales, de la gestion des éléments radioactifs et du stockage des éléments radioactifs. Par exemple, dans le cas français, on nous parle depuis dix ans du site de Bure où des travaux ont été effectués, mais lors des dernières interventions sur Bure, des levées de boucliers incroyables ont eu lieu. Je pense que cela sera un peu comme l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, à cause d’une opposition qui vient du fait que les gens ont peur de supporter ces coûts futurs du nucléaire qu’on connaît encore mal.

Dernier argument qui n’est pas des moindres, c’est le nucléaire, mais quel nucléaire ? La France est présentée comme ayant la nouvelle technologie qui est l’EPR (réacteur pressurisé européen). Des EPR, il y en a quatre dans le monde, dont trois en construction. Il y a les deux Chinois et deux ont été mis en service. Deuxièmement, on a le cas finlandais qui traîne depuis plus de dix ans et dont le coût a été multiplié par trois. Pour Flamanville, le coût a été multiplié par quatre et on ne sait pas si on va le mettre en service. C’est un chantier qui est incroyablement compliqué. Ça ce sont les éléments très négatifs pour le nucléaire. Et je pense que l’on ne verra pas de pays revenir au nucléaire comme l’Italie ou l’Allemagne, les Pays-Bas, même l’Espagne, et les pays qui voudraient faire du nucléaire, dans les conditions économiques actuelles.

EPR Flamanville

EPR Flamanville – © SIPA / Alexis Morin via Les Echos

Que pensez-vous de l’objectif français d’obtenir une neutralité carbone d’ici 2050 ? Quels sont les priorités et les freins pour atteindre ces objectifs ?

Premièrement, c’est un objectif très louable que s’est fixé la France et c’est bien de viser cela. Deuxièmement, sur les stratégies, la priorité est l’intensité énergétique et l’intelligence énergétique des systèmes, aussi bien au niveau de la production, du transport que de la distribution, qu’au niveau de l’utilisation finale de l’électricité. Là il y a un gisement extraordinaire de rationalisation, avec le numérique, l’intelligence artificielle, la digitalisation, etc. C’est quelque chose qui doit être présenté en priorité sur notre objectif de neutralité carbone. Et je pense qu’à terme nous y arriverons, mais je ne sais pas si nous respecterons la date. La transition énergétique c’est le sens de l’histoire, la planète est en train de périr et si on ne fait rien et bien cela sera irrécupérable. Il faut s’inscrire dans la transition énergétique, ce qui est très difficile, car il y a des problèmes fiscaux, des problèmes de systèmes que l’on a mis en place, tout cela n’est pas facile.

 

Est-ce que vous pensez que la transition énergétique nécessite un passage vers plus d’électricité ou est-ce qu’on va aussi vers une baisse de la consommation d’électricité ? 

Je dirais que la transition énergétique est une transformation énergétique avec une espèce de raccourcissement entre la production et l’utilisation finale. On retombe sur les problèmes d’économie circulaire et d’autonomie énergétique ou de dépendance énergétique. Cela dit, là encore on retombe sur le concept de « smart grid » ( « réseau intelligent » ndlr). On peut introduire davantage d’intelligence dans des systèmes qui ont été mis en place d’une manière très traditionnelle et conservatrice. On ne pourrait pas reconstruire les lignes à haute tension que l’on a construites dans les années 50-60. Cette question se rapporte à l’économie, à l’organisation économique en général avec une accélération de changements qui s’imposent.

 

Nous sommes partis d’un constat : géographiquement, la France est située au carrefour des plus grandes économies européennes, notre capacité d’interconnexion est de 50 câbles qui représentent plus de 10 GigaWatts soit plus de 10% de notre puissance installée nationale. Ne devrions-nous pas produire plus d’énergie bas carbone pour l’exporter que de vouloir remplacer notre parc nucléaire par du renouvelable ? 

Vous touchez là un problème très compliqué. Par exemple, la France exporte une grande partie de son électricité pendant les mois plus chauds (été, printemps, automne) et importe de l’électricité aux moments plus froids. On importe des Pays-Bas, d’Allemagne, de Belgique dans les moments où il fait très froid et comme les gens se chauffent beaucoup au chauffage électrique, on manque d’électricité et nos centrales n’ont pas été construites pour alimenter l’ensemble de ces investissements au chauffage électrique. Donc, l’interconnexion est bonne. On peut l’intensifier et stocker de l’électricité qui permet de régulariser les flux, mais qui sont des flux à double sens. Quand en France on achète un kilowattheure en Pologne, ce kilowattheure peut passer par la Suisse, par l’Italie, par l’Espagne, parce qu’on ne trace pas le chemin de l’électricité, ce sont les lois de Kirchhoff. Elle suit la ligne où il y a le moins de résistance, c’est-à-dire les lignes et les trajets sur laquelle la résistance électrique est la plus faible.

Interconnexion

L’Europe fortement interconnectée par l’électricité – Source : Fotolia © Guillaume Le Bloas

Les ENR se sont développées jusqu’à présent là où les mécanismes nationaux de subvention l’ont permis, sauf dans le cas des Pays-Bas et de l’Espagne, qu’en pensez-vous ?

Pour l’instant, les énergies renouvelables ont besoin d’être subventionnées au départ, mais il y a un élément qui est extrêmement important c’est le coût de production du kilowattheure renouvelable qui baisse de façon continue et va continuer à baisser. Donc au fur et à mesure qu’il baisse, il n’y a plus besoin de subvention. Dans le cas français, on a mis en place de fortes subventions, mais aujourd’hui ces subventions sont en diminution parce que ces énergies deviennent compétitives. La question que vous posez s’adresse aux problèmes de disparités fiscales, or, vous savez qu’au niveau communautaire, pour avoir des décisions sur la fiscalité ou sur les subventions, c’est l’unanimité des 27 pays européens qu’il faut. Donc c’est une opération très difficile à effectuer. Bien sûr, on souhaite beaucoup une harmonisation des systèmes fiscaux et des systèmes de subventions, mais pour l’instant on en est loin encore à cause de cet argument institutionnel. Il faudrait aller vers une unification, mais ce n’est pas le cas pour l’instant. Ce qui explique une disparité dans le développement des renouvelables, qu’elles soient subventionnées ou pas dans les différents pays.

 

Est-ce que cela est juste de nous présenter comme des consommateurs français, est-ce que nous ne sommes pas plutôt des consommateurs européens ?

Il faut bien faire comprendre aux gens que ce n’est pas parce que nous avons une grosse production nucléaire que nous ne consommons que du nucléaire. On a besoin d’importation et d’exportation sur les flux électriques. Nous sommes bien consommateurs européens, mais derrière cette question il y a la notion d’unification, d’harmonisation des fiscalités et des prix. Autant pour le pétrole, vous avez un cours du pétrole à l’international qui s’affiche pour tous les pays que ce soit en République Tchèque ou en Espagne. Pour l’électricité, il y a une différence de prix. Par exemple, l’électricité est plus chère en Allemagne qu’en France et on nous dit que l’électricité française est la moins chère. Ce qui est statistiquement vrai, mais sur le fond ce n’est pas évident parce que le prix de l’électricité en France n’inclut pas toutes les dépenses futures du nucléaire (démantèlement, etc.). Ils disent qu’ils les incluent, mais ce n’est pas inclus au niveau dont nous aurons réellement à faire face.

 

Merci à Jean-Marie Chevalier pour cette interview réalisée par Anne-Sophie Toutain et Ivan Debay.

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